La couleur a disparu
C’était dans un pays tout gris, aux frontières bien définies, que personne n'avait franchies.
Dans ce pays tout gris vivait une petite fille. Elle s'appelait Nanette.
Elle était née ici et vivait dans une jolie maison toute de gris vêtue.
Dans ce pays tout gris on pouvait y voir quelques nuances : des gris foncés, des gris anthracite, des gris pâles, des gris bleus, des gris mous, des gris durs, des gris noirs, des gris presque blancs.
Dans ce pays tout gris il y avait bien pépé avec sa jolie télé et ses images quadrillées, toutes colorées. Il nous montrait, souvent, comment s'y connecter. Mais ça ne durait pas, car il ne fallait pas trop la montrer.
En son temps, la couleur ne disparaissait pas.
Mais c’est avec le temps que les vieux ont fini par la cacher. Ils savaient comment faire, mais la laisser apparaître était risqué.
Ceux qui n’en avait plus, enviaient ceux qui la faisait voir.
Certains en avait peur, alors doucement les vieux ont caché la couleur.
Dans leurs souvenirs, dans leur cœur il y avait toujours de la couleur.
Ils ne la montraient que lorsqu’ils étaient seuls ou à ceux qu’ils aimaient bien.
Les enfants sont devenus grands et ont perdu le goût de la couleur.
Nanette ne savait pas pourquoi la couleur n’existait plus. Elle était née, ainsi, dans ce pays tout gris et n’avait rien connu avant, de bien plus vivant.
Mais même si elle ne savait pas, elle s’interrogeait souvent.
« Pourquoi n’y a-t-il pas de couleurs dans mon pays ? Est-ce bien normal que tout soit si pale ? »
Ce qui la questionnait, aussi, c’est que parfois il lui arrivait d’apercevoir, émaner, de la couleur de certaines personnes et dans certains endroits.
Il est vrai que pépé lui en avait montré sur sa télé et surtout quand il riait.
Mais jamais ça ne durait.
C’est ainsi qu’un beau matin elle entreprit de partir à la recherche de la couleur, dans tout le pays. Elle était bien décidée à mener l’enquête et sans rien dire elle quitta la maison.
Elle traversa tout un tas de contrée, de paysage et de vallée.
Elle rencontra de nombreuses personnes qui lui expliquèrent, en long, en large et en travers pourquoi la couleur avait disparu. Chacun y allait de son histoire.
Gertrude du village des certitudes lui avait certifié, juré, craché, que la couleur n’avait jamais existait.
Albert dans le désert lui avait dit qu’elle était juste partie quand la source avait tari.
Justine qui cueillait les capucines ne levait pas son nez en haut des cimes, elle n’avait donc pas vu qu’il n’y en avait plus.
Sidonie de par ici vivait la nuit. Pour elle tout était gris et pis tant pis.
Noa le fils du roi répétait toujours avec sa grosse voix : « ici règne le roi et quiconque s’y opposera sera banni de ce pays. »
Alban le grand savant savait pourquoi mais ne le disait pas.
Ginette la coquinette riait comme une poulette qui caquette car elle avait laissé aller ses souvenirs aux oubliettes.
Aucune de ses histoires ne permettaient vraiment de trop savoir. Savoir pourquoi tout était devenu tout gris, tout noir. Savoir pourquoi certains avait oublié. Savoir où la couleur s’en était allée.
Pendant son voyage il lui était bien arrivé de percevoir de la couleur.
Elle se rappelait, d’ailleurs, de ce jour où elle avait vu ce petit garçon se promenant avec sa maman.
Il faisait voler au vent son doudou tout doux, comme un coucou.
Cela le faisait rire de le voir s’envoler et puis tomber. C’est là qu’elle aperçut cet éclair de couleur sur le visage du petit garçon. Un éclair rapide et coloré, mais qui ne s’était pas vraiment installé.
Alors elle se dit que la vitesse devait être la clé. Qu’il fallait vivre à mille à l’heure pour qu’apparaisse la couleur.
Nanette décida donc de poursuivre son expérience à toute vitesse.
Tel un éclair, elle continua son voyage en marchant vite, en courant vite, en parlant vite, en dormant vite, en mangeant vite, en pensant vite, en rencontrant vite, en respirant vite… Jusqu’au moment où elle se retrouva vite toute épuisée et l’air toute fanée.
Point de couleur, rien que des pleurs.
Elle se souvint aussi de ce moment où elle croisa cet éléphant qui tranquillement faisait l’enfant. Il barrissait pour qu’on s’intéresse à lui et éclaboussait avec sa trompe tous ceux qui s’approchait de lui. Il prenait le temps de bien se faire remarquer par les autres éléphants qui lui passaient devant. Un coup de trompe par-ci, un coup de patte par-là. Nanette avait bien ri mais n’avait pas senti son visage se parer de couleur. Elle avait juste remarqué cet éléphanteau qui la regardait avec des yeux brillants reflétant une couleur arc en ciel.
Comme elle avait pris le temps de l’observer elle se dit que la lenteur devait être la clé.
Elle poursuivit, alors, son voyage à la lenteur d’un escargot.
Cela lui pris très longtemps pour voyager et échanger.
C’est comme ça qu’elle rencontra un paresseux qui vivait dans cet arbre depuis peu. Elle discuta avec lui quelques temps, qui, d’ailleurs, lui semblèrent une éternité.
Il lui expliqua comment ralentir et comment apprendre à se calmer pour ne pas s’épuiser.
Elle croisa même un pélican, qui volait tranquillement, lui indiquant le chemin du levant.
Elle atterrit, même, dans une forêt habitée par des fées. Elles papotaient tranquillement volant d’une fleur à l’autre, sans affolement. Nanette les observa, si longtemps, avec douceur, qu’elle ne s’aperçut même pas de l’heure.
Les fées lui apprirent comment exister sans se soucier. Mais Nanette épuisée par son voyage finit par s’endormir. Elle ne put donc pas voir comment les fées se parèrent, en un instant, d’une multitude de couleurs.
Remplie de ses rencontres et de ses savoirs elle revint au pays et raconta ce qu’elle avait compris.
Que de trop de vitesse il n’en ressortait rien.
Que de lenteur on finissait par s’endormir.
Que la couleur apparaissait et disparaissait sans jamais ne rester.
Que le mystère était caché.
Que la couleur avait disparu et qu’il n’y en aurait plus.
Que certains même ne l’avait jamais vue.
Que la source était tarie et même que les souvenirs étaient partis.
Pourtant, certains adultes qui s’interrogeaient aussi, se dirent que Nanette avait tout compris.
Que de vivre rapidement finirait bien par installer de la couleur. Alors, à leur tour, ils décidèrent de faire les choses à cent à l’heure, même s’ils le faisaient à contre cœur.
Ils aperçurent quelques couleurs qui apparaissaient de ci de là, mais qui jamais ne s’installaient.
Très vite ils virent qu’à force de courir tout le temps, la vie se teintaient de noir et blanc.
Du coup, ils essayèrent d’installer la lenteur et d’apprendre à ne plus faire à contre cœur.
Cela améliorait un peu les choses et laisser voir quelques nuances colorées s’installer peu à peu. Mais jamais elles ne restaient.
Nanette qui ne désespérait pas de trouver la solution avait décidé, malgré tout, de faire une pause.
Elle se prit quelques jours de détente avec sa petite sœur, haute comme 3 pommes et qui ne cachait pas son plaisir à faire des bêtises.
Quant en d’autres temps Nanette l’aurait dénoncée à ses parents, cette fois-ci elle en fut amusée. Amusée de la voir grimper sur le canapé, de chatouiller les doigts de pieds de pépé et de glisser sur le parquet.
Elle se sentit soudain toute différente. Sa petite sœur, que l’on avait oublié de réprimander finissait, elle aussi, par se transformer.
De la couleur émanait doucement de leurs visages et commençait à se répandre sur leurs corps.
C’est à ce moment-là que Nanette comprit ce qu’il se passait.
Chaque fois qu’elle ressentait de la joie, son visage et son corps se paraient d’une multitude de couleurs intenses et rayonnantes.
Alors, elle courut partout dans le pays répandre la grande nouvelle.
« Les amis, il vous faut être dans la joie pour que la couleur revienne. »
On l’écouta bien un moment, mais la couleur ne s’installa pas pour autant très longtemps.
Quelques instants, de temps en temps. Mais pas aussi longtemps pour qu’elle perdure suffisamment.
Il faut dire que les grands veulent toujours tout expliquer, tout comprendre, tout contrôler et surtout qu’ils sont bien trop occupés.
Alors, ils rient bien un peu de temps en temps, seulement les jours où ils ont le temps.
Ils jouent parfois avec leurs enfants et ressentent un peu de joie. Mais jamais assez profondément.
Nanette n’avait pas compris que les grands n’étaient plus comme avant, car ils étaient devenus grands.
Ils avaient oublié d’être des enfants.
Ils pensaient qu’en grandissant il ne fallait plus exprimer son émerveillement.
Qu’il fallait faire les choses plus sérieusement.
Mais comment faire pour les aider à exprimer leur joie profonde ?
Comment leur apprendre à installer la couleur durablement ?
Peut-être en leur montrant comment redevenir un enfant, tout en étant un grand …sans trop de sérieux, évidemment.
Nanette compris, alors, que les adultes avaient juste besoin de retrouver leur joie intérieure et qu’ils y arriveraient en observant les enfants, tout simplement.
C’est ainsi que le pays tout gris retrouva peu à peu toutes ses couleurs.
Que les enfants jouaient avec les grands et que les grands prenaient le temps, pour savourer tous ces instants.
Isabelle MAIRET
7/1/2023